Le présent article pourrait être vu comme le témoignage d’un client frustré. C’est peut-être le cas. Mais si ce n’était que cela, je me serais contenté d’une complainte sur Facebook qui aurait surement rejoint plus de monde. C’est plutôt l’occasion de réfléchir à la “plateformisation” d’Internet et autres considération sur le développement d’un Amazon du Québec.
Lorsqu’on décide de vendre son lieu de vie, tout le monde fait face à la question du mode de vente. Étant un produit de notre génération, nous avons choisis de nous passer d’un intermédiaire: les agents. Plusieurs expériences avec ces derniers s’étaient avérées pénibles. Hormis le coût disproportionné qu’ils représentent, ils semblent parfois tout faire pour ne pas établir un climat de confiance et faire pression pour une transaction rapide plutôt que d’aider à faire la bonne transaction. Bref, personnellement, les agents d’immeuble faisaient partie de cette catégories de profession que j’aimais détester. C’est ainsi qu’avec beaucoup d’enthousiasme nous prîmes la direction d’une déconvenue a posteriori évidente -mais tout parait évident a posteriori.
Le point de départ est le mécanisme de “maison vedette”. Pour faire passer un forfait plus plantureux, DuProprio propose d’avoir des semaines en maison vedette et donc apparaitre en haut de page. Chouette, c’est de la visibilité en plus, le nerf de la guerre pour vendre, non? Nous voulons faire une bonne vente, rapide de préférence, quelques centaines de dollars ne devraient pas nuire. Allons-y avec ce mécanisme. Généreusement, DuProprio met aussi à notre disposition quelques données sur la fréquentation de notre page, nous aidant à voir l’évolution (Yé des données!)
Assez rapidement, il devient évident qu’en période non-vedette, les visites chutent drastiquement. Pire: un visiteur nous indique qu’après avoir trouvé notre annonce sur le site (en période vedette), il a été incapable de remettre la main dessus (en période non vedette), pensant ainsi que l’unité avait été vendu… jusqu’à ce qu’elle apparaisse de nouveau (en vedette). Effectivement, en visitant le site sans s’authentifier, notre page semble apparaitre exagérément loin. Bref, il apparait rapidement évident qu’il faudrait être en vedette en permanence, quitte à acheter des nouvelles semaines pour se faire.
Intuitivement, nous considérons qu’une plateforme est neutre. Ainsi laissons-nous Gmail lire tous nos courriels. Est-ce au motif que les algo n’ont pas de conscience? Je ne sais pas mais ça ne les empêche pas d’agir. Toujours est-il que tout le monde sait que les algo ne sont pas neutres, mais nous continuous tous à agir comme s’ils l’étaient. En bout de ligne, DuProrio en sait beaucoup plus que n’importe quel acteur sur la plateforme et peuvent utiliser cette connaissance pour manipuler l’univers qu’ils ont créés comme bon leur semble. L’asymétrie d’information est ancrée dans les gènes d’une plateforme et les données rendues accessibles ont pour principal effet de nous manoeuvrer. Pour la petite histoire, excédés par le manque de clarté sur le fonctionnement du tout -et l’absence de clients sérieux, nous sommes passés par un agent de notre connaissance et avons vendu en deux jours.
La plateformisation d’Internet est maintenant considérée comme acquise. Ce faisant, au gré d’un long glissement, Internet est devenu finalement un agrégat de petits univers, les-dites plateformes, univers avec leurs lois propres que les propriétaires modifient à volonté pour en extraire plus de valeur.
Cette réflexion m’amène sur une discussion ayant cours sur la mise en place d’un Amazon du Québec proposée par Alexandre Taillefer et surtout les réponses qui en ont émané. La palme de la réaction la plus spontanée revient surement à Sylvain Carle, qualifiant la proposition d’anti-Internet, ce bel espace ouvert. Tel qu’expliqué plus haut, Internet n’existe plus vraiment.
Dans un billet plus construit, Sylvain part de l’immense différence qui sépare les ressources physiques (domaine dans lequel Téo a réussi à se développer) avec les ressources virtuelles où la notion de frontière n’existe plus et où l’enjeu majeur devient le nombre de noeuds appartenant à un réseau (ou à une plateforme pour reprendre le vocabulaire de ce billet). Dans cette réalité incontournable il semble inutile d’essayer de lutter sur le même terrain que les GAFA.
Même si la différence entre ressources physiques et numériques est indéniable, il est faut aussi accepter les points communs, notamment que tout ceci se déroule toujours dans l’espace capitaliste dont les règles ne changent pas vraiment. Patrick Tanguay suggère donc une approche plus tournée vers les coopératives (je note au passage que ces deux éminents blogueurs, qui avaient leur propre blogue, sont maintenant sur une plateforme, Medium, qui offre un fil RSS très moyen). Et ça a une certaine logique: comme le montre l’exemple DuProprio, avoir une plateforme transnationale ou une locale ne change pas tant de chose que cela (si ce n’est la fierté d’avoir un Québec inc dynamique et une meilleure assiette fiscale, ce qui n’est pas rien non plus); la structure de propriété préside au fonctionnement de la plateforme.
La réflexion est intéressante mais il faut bien comprendre qu’elle ne peut pas se réaliser en énonçant de belles formules: premièrement, c’est une attaque frontale à plusieurs prémisses capitalistes voulant que les gens se bougent dans l’espoir d’avoir un retour important. L’image de l’entrepreneur à succès est aussi une icône de nos nouveaux récits difficile à surmonter et allant à l’encontre de la philosophie coopérative plus tourner vers le groupe.
Par ailleurs, bien qu’il soit vrai qu’Uber ne possède pas grand- chose, les investissements initiaux pour créer une plateforme sont colossaux: logiciel mais surtout recrutement. Les montants disponibles en capital de risque donnent accès à une capacité de déploiement d’une plateforme inaccessible sans cela. Ceci dit, c’est le genre de chose sur lequel les gouvernements pourraient avoir un impact en adaptant certains éléments de fiscalité, ce qui, combiné au capital d’impact, pourrait donner des résultats intéressants. Enfin une telle approche pourrait permettre l’émergence de plateformes plus conformes à la vision historique d’Internet. Beaucoup de chemin reste à faire.
En attendant, Sylvain a promis un autre billet sur comment favoriser l’émergence de projets porteurs, je suis curieux de voir ce qu’il en sera.