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Quand les villes se mordent la queue

Politique

La période pré-électorale est l’occasion de la publication de livres sur la politique municipale. Il y a bien entendu eu le livre de Denis Coderre, Retrouver Montréal. La sortie de L’Expérience Tremblay qui relate la vie de Gérald Tremblay, en tant que maire de Montréal mais aussi dans ses rôles précédents, notamment de ministre et d’administrateur, ajoute à la réflexion. L’objet du livre a fait l’objet de railleries et de boutades diverses. Parti dans la disgrâce, la nécessité pour Gérald Tremblay de rester dans l’ombre semblait évidente pour la coterie municipale et médiatique. Même si le livre n’est pas écrit par Tremblay lui-même mais par Claude Laferrière, il est évident que l’ex-édile montréalais a donné son aval.

Pour moi, l’attrait pour Gérald Tremblay était également loin d’être évident. Son leadership terne et une vision de la ville qui me paraissait arriérée m’ont amené à m’intéresser et à m’impliquer dans Projet Montréal pendant plusieurs années, à partir de 2007. Bref, n’eut été de ma curiosité pour les perspectives historiques des choses, aucune raison ne m’incitait à lire ce livre au demeurant sec, écrit dans un style (et même une forme) de document légal (l’auteur est avocat, entre autres). Si je mets quelques heures de mon temps à rédiger ce billet, c’est que de ce récit de la carrière de Gérald Tremblay émerge une histoire désolante des villes au Québec et de Montréal en particulier.


Pour commencer, l’auteur du livre est prodigieusement partial d’un bout à l’autre du livre. C’en est presque gênant par moment; en même temps ça apparaît comme parfaitement sincère. J’ai du mal à croire qu’une personne hautement qualifiée comme l’auteur, notamment double médaillé du gouverneur général du Canada, ne se rende pas compte qu’une telle absence de retenue nuit en bout de ligne à la crédibilité son propos. Au moins on sait à quelle auberge on loge: l’auteur est un pro-Tremblay, une groupie assumée encensant chaque étape de sa vie. Même si tout cela semble incroyablement biaisé, force est de reconnaître un parcours d’envergure!

Qu’en dire de plus? Le parcours de Gérald Tremblay montre un intérêt pour de nombreuses approches qui, soit existent encore, soit reviennent par intervalle, sous une forme ou sous une autre. Par exemple, son intérêt et sa contribution aux Caisses d’entraide économique du Québec, une institution économique sous forme de coopérative, comme le Mouvement Desjardins, visant à soutenir le développement entrepreneurial et économique du Québec. Dès les années 80-90, Gérald Tremblay soutient une vision collective et novatrice du développement économique. Malheureusement, appelé en renfort alors que l’institution bât de l’aile, le tout se termina en eau de boudin alors que la vision d’ensemble d’entraide économique s’avère soluble dans le modèle bancaire classique.

Plus tard, alors ministre du gouvernement libéral de Robert Bourassa, Gérald Tremblay a prôné là encore le développement économique par l’innovation et la contribution du milieu, notamment via le Grand Rendez-vous économique 1991. C’est à cette occasion qu’il va développer l’approche de grappe industrielle au Québec; un concept qu’il n’a pas inventé mais qui était assez récent. Pour avoir étudié la question de l’innovation régionale au Québec lors de ma maîtrise en 2005-2010, les grappes ont eu un effet positif non négligeable pour aider le Québec et la région de Montréal à prendre le virage de la désindustrialisation et à surmonter la crise au début des années 2000. D’autres régions furent plus efficaces à mettre en place des systèmes d’innovation régionaux, mais l’approche de grappe n’était pas dépourvue de sens et de vision.

Le chauvinisme de l’auteur rend difficile une évaluation lucide du travail de Tremblay, toutefois une série d’actions concrètes (que j’ai validé, au moins en partie -j’ai fait mes recherches!) montre une personne qui se plaçait à l’avant-garde de la réflexion économique et dans une perspective collective qui me parle.


La section la plus riche d’apprentissage concerne son passage à la mairie; et l’intérêt du livre n’est finalement pas à propos de Gérald Tremblay mais de la manière dont sont traitées les villes, et Montréal en particulier. Pour comprendre ce qu’il s’est passé, il faut faire un petit retour en arrière. Gérald Tremblay arrive au pouvoir d’une nouvelle ville: la ville fusionnée de Montréal; 27 villes, cités, villages sont fusionnés de force avec Montréal, au grand dam, notamment, de l’ouest de l’île plus largement anglophone. Les motifs de cette fusion forcée sont troubles; derrière une volonté technocratique de simplifier la gouvernance municipale en général (d’autres villes au Québec subissent le même traitement), la vision “une île, une ville” portée par Pierre Bourque le maire de l’époque a également l’avantage possible, aux yeux d’un gouvernement péquiste, de fondre les minorités anglo-fédéralistes de l’ouest de l’île de Montréal avec un Montréal largement francophone, à l’époque. Après, je dois bien reconnaître que je ne vivais pas encore au Québec à l’époque, il manque sûrement de profondeur à mon analyse. En bout de ligne, ce qu’il faut retenir, c’est qu’une volonté politique avant tout provinciale a complètement ignoré la réalité du terrain, actionnant un tragique engrenage dont Montréal vit encore les conséquences aujourd’hui.

Car dès le lendemain des fusions, alors que notre bon Gérald Tremblay entre en fonction, les opposants aux fusions font campagne pour un retour en arrière, campagne entendue par Jean Charest, chef du parti libéral et qui en fait, avec succès, un argument mobilisateur en vue de défaire le gouvernement péquiste. Chose promise, chose due: une fois au pouvoir Jean Charest initie un mouvement de défusion sans plus de finesse que les fusionnistes avaient fusionnés. Autant dire ce qui est, l’auteur du livre ne tient pas Charest en haute estime… et ça se comprend. Bien que faisant historiquement partie de la même famille politique que Tremblay, Charest n’a aucunement pris compte des idées, propositions, principes proposés par celui qui dirigeait alors la ville à dépecer. En effet, si Tremblay préférait évidemment une ville fusionnée, une fois la défusion lancée, il a essayé de faire en sorte que l’ensemble demeure gouvernable. Le livre relate plusieurs propositions faites pour gérer l’agglomération de Montréal (e.g Montréal et ses villes défusionnées) de manière cohérente. Mais rien n’y fit, après une valse-hésitation le gouvernement du Québec, par l’intermédiaire de Jean-Marc Fournier, ministre des affaires municipales (récemment devenu Président-directeur général de l’Institut du développement urbain, ça ne s’invente pas) a adopté un plan et des mécanismes de défusion incohérents et inefficaces. Incohérents et inefficaces car ne cherchant pas vraiment à comprendre comment marchait ou pourrait marcher la ville mais plutôt à accomplir la promesse du premier ministre de redonner aux villes-fusionnées-de-force un semblant de pouvoir. Au total, les villes ayant voté la défusion n’ont guère obtenu plus que le fait de retrouver leur nom; une large partie de leur budget est amputé par des dépenses communes de l’agglomération… largement décidées par Montréal à cause de sa surreprésentation démographique. D’autres conséquences de la fusion, comme l’alignement des conventions collectives des employés, étaient irréversibles.

On ne peut regarder cet épisode de fusion-défusion que comme un immense gâchis de Montréal par les gouvernements successifs du Québec. Il est important de souligner que la tension entre les villes défusionnées et Montréal demeure constante, on est resté depuis cette époque avec une gouvernance bancale, coûteuse et complexe pour pas grand-chose.

Dans la même logique, en France, les grandes villes ont été dotées de structures de gouvernance supra-municipale, les métropoles. Cette démarche ne s’est pas toujours passée dans la joie et la bonne humeur, mais cela a tout de même permis de créer des structures de gouvernance métropolitaine fortes, réfléchies et efficaces permettant aux grandes villes et à leur territoire étendu d’agir de manière cohérente. Au lieu de ça, à Montréal, l’attaque cérébrale des fusions-défusions a complètement laissé de côté une réflexion au niveau régional/métropolitain. La Communauté métropolitaine de Montréal, qui a tous les ingrédients pour appuyer une véritable puissance métropolitaine a été résolument sous-investie par le gouvernement provincial -et par les villes largement occupées à gérer les fusions-défusions. Bien entendu, après le traumatisme vécu, plus personne n’a vraiment envie d’aller jouer dans les structures de gouvernance. “If ain’t broke don’t fix it” comme le dit le dicton pratico-anglo-saxon; sauf que la gouvernance métropolitaine n’amène pas le développement régional dont le Grand Montréal a besoin. Peut-être est-ce mieux ainsi diront certains: la seule tentative post-défusion de jouer dans la gouvernance régionale s’est fait avec la création de l’Autorité Régionale de Transport de Métropolitain (ARTM) dont le travail de discrédit par le gouvernement Couillard fut entamé moins de deux ans après sa création en court-circuitant complètement les mécanismes mis en place pour donner tout pouvoir à la Caisse de Dépôts et Placements du Québec et son projet de Réseau électrique métropolitain (REM). Le gouvernement Legault a trouvé la recette du discrédit assez utile pour la refaire pour le REM de l’Est. Bref, la gouvernance métropolitaine semble n’être pour le gouvernement provincial qu’une tartuferie sans autre but que d’avancer des objectifs politiques et de bien paraître.


L’épisode “gouvernance” symbolise à lui-seul toutes les afflictions venues du provincial dont est victime Montréal (et les villes en général); je vais en ajouter une couche: les sources de financement. Le livre relate par le menu, année après année, toutes les tentatives faites par Gérald Tremblay pour diversifier les sources de financement de la Ville.

Pour ceux qui sont moins familiers avec le sujet; les villes québécoises tirent le (trop) gros de leurs revenus de l’impôt foncier. Résultat net: les villes sont dépendantes de cette seule et unique source (et les villes ne peuvent faire de déficit). L’impôt foncier, comme toute source de revenu prise seule, vient avec son lot d’enjeux et notamment d’impacts négatifs pour certaines catégories de personnes et d’effets systémiques. Ce n’est pas juste Montréal qui cherche à se sevrer de sa dépendance à l’impôt foncier, c’est toutes les villes à travers le monde. Et dans ce but, tous les ans, Gérald Tremblay revenait avec des approches alternatives: obtenir un point de pourcentage sur la taxe de vente, obtenir un droit de taxation, etc. Là encore, on comprendra que la supplique devait toujours passer par les officines provinciales qui visiblement jugeaient toujours les demandes excessives; donc si certaines étaient accordées, ce n’était toujours que partiellement…. et en gardant toujours la laisse très courte.

De multiples partis, au gré d’élections provinciales, ont promis de donner plus de pouvoir aux villes. Tout le monde a aimé annoncer en grande pompe la Loi sur la métropole négociée par Denis Coderre avec le gouvernement Couillard. Même si cette loi apportait plusieurs éléments intéressants, la ville ne gagnait pas vraiment en latitude. D’ailleurs ce n’est pas pour rien que Denis Coderre vient de demander une demi-point de taxe de vente pour la ville. D’ailleurs (encore), François Legault avait promis en campagne en 2018 de donner un point de taxe de vente… avant de se rétracter une fois élu.

Bref, vous me voyez venir: les villes sont vues comme un petit joujou pour le gouvernement provincial. D’abord utilisées à des fins électoralistes, elles sont visiblement perçues comme un sous-palier gouvernemental en charge de menues affaires comme ramasser les poubelles. Dès qu’il est question de choses sérieuses, les villes n’existent plus; on l’a vu pendant la pandémie… Tous les gens qui s’intéressent à la sphère municipale savent que les villes font face à des défis majeurs et voient leurs responsabilités de facto augmenter régulièrement. Ce n’est pas pour dire qu’avec la santé et l’éducation, les paliers supérieurs se la coulent douce, toutefois les villes pourraient jouer un rôle (positif) significatif sur ces enjeux là si, au Québec, les villes étaient traitées comme des interlocuteurs crédibles et avec une indépendance garantie. Le paternalisme permanent dont sont victimes les villes ressort de manière criante dans le livre, un paternalisme non seulement humiliant mais surtout contre-productif pour tout le monde.

Le livre ne couvre pas vraiment la descente aux enfers de Gérald Tremblay; l’auteur y voit une forme de cabale, de vengeance aveugle de la plèbe, des journalistes et d’autres qui ont trouvé dans Tremblay un agneau sacrificiel, lui, un chrétien si parfait. Soit. La réalité est qu’on ne saura sûrement jamais quel était son rôle, quel était son niveau de connaissance réel de ce qui se faisait dans son parti et dans certaines arcanes de la Ville de Montréal. Malgré tout le mal que sa fin de mandat a fait la ville -la ville s’est retrouvée quasi-paralysée pendant de longues années- la question n’est pas de savoir si Gérald Tremblay est coupable, directement ou indirectement. La question est de savoir ce qui peut se faire pour avoir de meilleures villes au Québec.


Ce contexte général a contribué à ma décision de quitter le monde municipal, au moins pour le moment. Ce n’est évidemment pas la seule raison, et j’ai surtout décidé de partir pour un projet qui me semblait riche de possibles. Il n’en reste pas moins qu’évoluer à l’échelle municipale est éreintant. Bien que rarement, j’ai vécu assez directement les difficultés liées à la relation avec le gouvernement provincial: l’obligation d’obtenir un aval là où ça ne devrait pas être nécessaire, les délais injustifiés, et un paternalisme-on-sait-mieux-que-vous certain. Pour cela, les acteurs du monde municipal, élus et administratifs, et surtout ceux qui y consacrent un large pan de leur carrière, méritent beaucoup de respect. Ces acteurs vivent sous une forme de plafond de verre où des solutions clés sont visibles, évidentes, à portée de main et pourtant insaisissables -alors que d’autres, y compris d’autres villes dans le monde, y ont accès.

Évidemment, on ne peut se contenter de reconnaître l’abnégation des leaders municipaux de Montréal et d’ailleurs au Québec. On mérite mieux, non? Mais quelles sont les options?


« Sous d’autres vocables, mais toujours dominée par le statu quo constitutionnel, le même culte des délais et du chaos stratégique, orchestré par les paliers supérieurs de gouvernement, L’Expérience Tremblay se continue… »

Claude Laferrière, L'expérience Tremblay, 2021.

Stéphane Guidoin est un amateur de chocolat, d'aïkido, de voile et de jardinage et dont le cerveau turbine constamment sur l'impact des technologies, les crises longues et ce qui fait que la vie mérite d'être vécue.

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