Suite aux résultats des élections américaines, beaucoup de commentateurs de salon et de presse soulignent que ce n’est pas Trump qui a gagné l’élection, c’est Clinton qui l’a perdu. Et c’est vrai que dans un contexte où l’un comme l’autre ont perdu des voix comparativement aux scores de leurs prédécesseurs de 2012, il semble logique de juger coupable du résultat celui qui en perdu tellement qu’il arrive second. Sauf que dans un modèle de suffrage universel indirect, la réalité est souvent plus complexe qu’elle en a l’air. D’ailleurs, en se contentant de chiffres bruts, Hillary Clinton serait présidente à l’heure qu’il est.
Après un différend avec une personne, je me suis demandé comment faire ressortir les éléments centraux de cette élection sans en appeler à 50 graphiques différents comme certains médias ont essayé de faire… avec un succès relatif. N’ayant pas beaucoup de temps à y consacrer, j’en arrive un graphique fort peu orthodoxe que voici.
Grosso modo, le graphique montre l’évolution du nombre de vote entre 2012 et 2016 en fonction du pourcentage de vote, par état. En rouge les Républicains, en bleu les Démocrates (donc chaque état apparait 2 fois…) Ce que ça montre: effectivement Hillary Clinton a perdu des votes par rapport à Obama dans beaucoup d’état. Mais l’important, ce sont les points de grosse taille: les trois plus gros étaient des châteaux forts votant généralement démocrates (Wisconsin, Pennsylvanie et Michigan) depuis au moins Bill Clinton, qui sont passés aux mains de Trump. Les trois moyens avaient voté pour Obama et sont allés à Trump, sans être des châteaux forts (Floride, Indiana et Ohio). Dans un contexte où il a perdu des voix au total, Trump a gagné un nombre de voix significatif dans ces cinq de ces six états clés, ce qui lui a permis souvent d’obtenir les dits états par une fine marge. Certes, Clinton a également perdu des voix dans ces états, mais on ne peut pas dire que c’est juste le fait que des électeurs démocrates ne se sont pas levés: dans plusieurs de ces états, Clinton l’aurait emporté si Trump n’avait fait que maintenir le résultat de Romney.
Avec près de 50% d’abstention générale, il est difficile de dire quel phénomène s’est produit: des supporters d’Obama qui auraient supporté Trump à la recherche d’un autre homme charismatique? Ou simplement des démocrates qui sont resté chez eux, remplacés par des “angry white man” (ou autres) subjugués par le populisme trumpien? Difficile à dire mais si on se fie à cette analyse, c’est plutôt le second scénario qui s’est produit; auquel cas Trump est véritablement allé chercher des électeurs là où ça comptait.
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Ça peut sembler être jouer sur les mots mais c’est important. Dire qu’Hillary a perdu revient à dire que c’est juste la mauvaise personne qui a été choisie pour défendre le camp des bons; on se reprendra la prochaine fois. Mais la capacité de Trump a mobiliser des électeurs dans certaines tranches de la population est différente d’une désaffection pure et simple de la chose politique dont Hillary Clinton aurait plus pâti -fière représentante de la classe Washingtonienne qu’elle est. Cette capacité à mobiliser 59 millions de personnes est un signe important qui doit être compris par les démocrates mais aussi par à peu près tous les partis politiques établis en occident: leur incapacité à réellement améliorer le sort d’une classe moyenne désindustrialisée les expose à ce genre de situation: soit un “take over” du parti par un populiste, soit l’émergence d’un parti populiste. L’analyse du Businessweek est parlante sur ce point: le lead en matière d’analyse de données de Trump vient de Londres fait clairement le lien davec le Brexit; causes similaires conséquence similaires. Il est trop tentant de se concentrer sur le “angry white man” ou de regarder de manière condescendante les “ruraux” qui ont massivement voté pour Trump. Peu importe la couleur de peau ou le lieu, des gens désespérés, qui sentent abandonnés par le système, votent pour des populistes de tous poils.
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In Rust Belt strongholds like Mahoning County, Ohio, these voters would explain that Trump alone seemed to register their complaints in a political world that was otherwise deaf to their concerns. “These were disenfranchised voters who no party has spoken to for several elections,” says Oczkowski, the head of product at London firm Cambridge Analytica and team leader on Trump’s campaign.
Bloomberg Businessweek, Trump’s Data Team Saw a Different America—and They Were Right