Cet article est le quatrième d’une série en 6 parties
- 1ère partie: Introduction
- 2ème partie: Le moteur du changement
- 3ème partie: Création très destructrice
- 4ème partie: La voiture autonome
- 5ème partie: Des sirènes et des plateformes
- 6ème partie: Conclusion
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Autant dire ce qui est: cela fait facilement deux ans que je veux écrire sur la voiture autonome. Je me suspecte même d’avoir fait cette série sur notre futur technologique comme excuse pour traiter ce sujet spécifique. Entrons directement dans le sujet.
Premièrement la technologie: des véhicules routiers capables de conduire sans assistance humain. Encore une fois, la vitesse prodigieuse d’amélioration des technologies a fait que ce qui semblait à des années lumières en 2004 est maintenant chose réelle: une voiture se conduisant seule, dans certaines conditions, sur des centaines de milliers de kilomètres.
Les accidents routiers aux É.-U. représentent une perte économique annuelle estimée à 300 milliards de dollars, sans parler de l’aspect tragiquement humain: 30 000 décès par an. Si demain Obama, à l’image de JFK, lançait un défi du futur, pariant que les voitures autonomes pourraient réduire ce chiffre, il est très probable qu’en moins de 10 ans, il serait possible d’avoir un réseau 100% autonome.
Ensuite, l’adoption: à partir du jour où le premier modèle de série d’un véhicule autonome routier sortira, qu’en ferons-nous? On dit souvent que la technologie est neutre, pourtant la manière dont on en adopte certaines, est loin d’être neutre. Certaines tendances actuelles ne trompent pas: désintérêt de la chose à quatre roues et tendance lourde vers l’économie du partage laissent à penser que les premiers à bénéficier des voitures autonomes seront les car2go de ce monde. De plus, à cause de la technologie à embarquer, les voitures autonomes seront significativement plus chères qu’une voiture régulière; hormis quelques personnes, seules des entreprises de location auront un intérêt réelle à payer ce surcoût. Et pourquoi posséder une voiture inutilisée 95% du temps alors qu’il est possible d’en “louer” une à la minute qui vient nous chercher n’importe où, n’importe quand. Pourquoi choisir pour un modèle (berline? compacte? V.U.S?) alors qu’ils est possible d’utiliser, selon les besoins, un mini-bus pour amener les enfants et leurs amis, une camionette pour revenir de chez Ikea, une salle de réunion mobile pour préparer une rencontre en chemin, ou simplement un siège pour se rendre au travail (j’imagine tout à fait des véhicules avec 4 ou 6 places cloisonnées pour les trajets simples.)
La dernière question est de savoir comment les gouvernements réagiront. Toutes sortent de lobbies vont se mobiliser, surtout contre (vous allez comprendre pourquoi plus bas). La solution la plus simple en théorie, c’est de bannir complètement les voitures conduites par des humains. En effet, face à des voitures automatisées, rien ne sera pire qu’un crétin inattentif ou un conducteur saoul. Si, pour une véhicule autonome, conduire au milieu d’autres véhicules autonomes est faisable à très court terme, avoir un véhicule autonome au milieu de véhicules conduits par des humains sera nettement plus long. Ceci dit, cette option du tout ou rien a peu de chances de se produire pour d’évidentes raisons politiques et organisationnelles. Dans le cas d’une adoption progressive, le législateur en aura beaucoup sur les bras: il faudra d’abord choisir d’autoriser ou non ces véhicules, ensuite gérer les responsabilités: qui est l’entité responsable en cas d’accident impliquant un véhicule autonome? La question de la préséance de l’humain sur la machine se posera aussi, avec en toile de fond des questionnements sociaux profonds.
Quoiqu’il en soit, que se passe-t-il si on se place dans un futur hypothétique où la grande majorité, pour ne pas dire la totalité, des véhicules routiers sont autonomes, reléguant l’inconstance humaine au volant au rang de mauvais souvenir.
Most engineering is a science, but traffic engineering isn’t. It’s a social science, with most #traffic models failing to understand people. Brent Troderian
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Que se passe-t-il dans ce futur où les voitures se pilotent d’elles-mêmes?
Premier effet évident, tous les gens dont c’est le métier de conduire se retrouveraient plus ou moins au chomage forcé (chauffeurs tous genres, taxi, routiers) de même que ceux qui enseignent à conduire. Certaines industries disparaitraient, comme les auto-écoles, d’autre demeureraient mais grandement changées, comme les entreprises de logistique.
Ensuite les gens en charge de gérer l’actuel traffic se retrouveraient aussi quelque peu inutiles: policiers et brigadiers en charge de la circulation et des contraventions de stationnement de même que les ingénieurs en circulation.
Je parlais des 300 milliards de dollars annuels en accidents, tous les gens qui reposent dessus verraient leurs revenus disparaître ou baisser: assureurs automobiles (un marché de 200 milliards de dollars au É.-U.), la SAAQ au Québec, les médecin en traumatologie, personnel en charge de la rééducation, etc.
Les gens en charge d’entretenir les voitures verraient également leurs revenus baisser, pour le moins. En effet, dans un modèle de non-propriété, le parc automobile va surement baisser: actuellement dans le monde de l’auto-partage, on considère souvent qu’un véhicule remplace une quinzaine de véhicules personnels. On n’atteindrait peut-être pas les même ratios à grande échelle, mais diviser le nombre total de véhicules par 3 ou 4 semble très raisonnable. Par ailleurs, ces véhicules seront surement gérés sous forme d’immenses flottes ce qui forcera les producteurs à faire des véhicules solides et faciles à maintenir –alors qu’actuellement, ce ne sont pas les efforts en matière de maintenabilité qui étouffent les constructeurs, notamment avec des systèmes d’auto-diagnostic. Bref mécaniciens et surtout carrossiers seront nettement moins nécessaires.
Pour les mêmes raisons, les stations essences seront amenées à disparaitre dans leur forme actuelle. Pour les véhicules utilisant de l’essence, le plein peut surement être automatisé dans des zones dédiées. Ceci dit, le plus vraisemblable serait que les véhicules se tournent vers l’électrique avec des bornes de rechargement sans contact un peu partout.
Enfin, toujours en lien avec la baisse du nombre de véhicules, il y a fort à parier que la production automobile va baisser et donc les emplois en découlant, sans oublier les milliards en pièces achetées chaque année suite à des accidents. Ceci dit, cela sera fera peut-être après un pic de production alors qu’un grand nombre de personnes feront le saut vers les solutions de véhicules autonomes (à noter que la valeur des véhicules personnels en circulation tendra rapidement vers zéro puisque plus personne ne voudra acheter ça, une voiture qu’il faut conduire). Sans oublier le proverbial vendeur de voiture: gone.
Rendu à ce point, nous avons déjà affecté beaucoup de monde. Mais ce ne sont que les effets directs. Trois effects indirects me viennent à l’esprit, mais ils sont surement plus nombreux.
D’abord, le concept même de transport en commun pourrait être remis en cause. Des quantités massives d’argent sont investies dans les transports en commun pour un résultat souvent décevant. Supposons, simplement, que l’on redirige cet argent, ou même seulement une partie, sous forme d’aide au transport qui aiderait les moins fortunés à se payer un abonnement de véhicule autonome en partage, on améliorerait surement le sort de tout le monde. Bref, exit les sociétés de transports.
Peut-être suis-je un peu optimiste, mais j’aurais tendance à croire que les coûts de transport pourraient significativement baisser avec la voiture autonome, entre autres pour les coûts de livraison à domicile: pas de chauffeur à payer, la possibilité d’optimiser les déplacements. Il serait plus facile de donner une heure de passage exacte (avec des tarifs dynamiques en fonction de la demande), le véhicule envoit un texto ou un appel quand il approche de la maison, merci et au revoir. Les effets seraient significatifs sur le commerce de détail. La majorité des achats récurrents que l’on fait, par exemple chez Walmart, premier employeur aux U.S, pourraient être envoyés directement à partir d’entrepots… eux-mêmes automatisés (Amazon est clairement en train d’expérimenter sur les prévisions d’achat, les livraisons directes et les entrepots robotisés). Si je me prends pour modèle, une majorité des gens préféreront continuer à faire leurs produits frais en personne, mais pour le reste, tout pourrait se faire par livraison (oui, même les vêtements… avec des bonnes politiques de retour!)
Enfin, le principal impact sera surement sur notre organisation sociale et notre utilisation de l’espace. Dans Traffic, l’auteur rappelle que la majorité des gens ont besoin d’une vingtaine de minutes de break entre la maison et le travail. Dans l’ensemble, on considère que 30 minutes de déplacement est acceptable, beaucoup seraient surement prêt à bien plus dans un véhicule confortable où on peut lire, travailler, discuter en tout confort. Avec un système de transport routier efficace comme le permettrait les voitures autonome, on verrait surement une deuxième vague d’exode hors des villes. En fait, cela pourrait complètement redéfinir notre utilisation du territoire…
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Tout cela pour en venir où demanderont certains? C’est un exercice totalement spéculatif, évidemment. Le but est montrer que le remplacement d’un humain par un automate, ce n’est pas juste la disparition d’un emploi. C’est bien plus, c’est systémique.
Je ressens une ambiguité confondante à l’égard de la voiture autonome. À défaut d’avoir des stations orbitales où il est possible d’aller passer les vacances (mon rêve d’enfance), la voiture autonome semble un symbole puissant de progrès. Je n’aime pas conduire. Je n’aime pas les comportements qu’induit chez moi et chez les autres le fait d’être derrière un volant. J’exècre l’idée de mourir ou de voir un de mes proches mourir d’un accident de voiture (première cause de mort violente à peu près n’importe où dans le monde. Pas plus tard que cet après-midi, mon plus jeune fils est passé à deux doigts de se faire écraser par une personne qui a grillé un feu rouge sans même s’en rendre compte). Par ailleurs la voiture autonome rendrait leur liberté de déplacement à tellement de personnes, notamment parmi les handicapés et les personnes âgées.
Comme l’explique le tweet cité plus haut, la conduite est un acte hautement social. Toutefois, dans notre boîte de conserve en métal tout confort, aucune des règles sociales ne peut s’appliquer, faute de communication. La raison pour laquelle une personne moyenne prise dans un embouteillage ressent plus de stress qu’un pilote de chasse en territoire hostile c’est à cause de ce trop plein de communication qui ne peut pas sortir, ou qui sort seulement sous forme de jurons que personne n’entend de toutes manières. Deux options pour limiter ce facteur stress: inventer la télépathie, permettant ainsi une communication instantanée entre conducteurs –ce qui explique à mon goût le succès de la récente campagne de prévention néo-zélandaise qui justement recrée cette conversation qui devrait avoir lieu entre conducteurs, ce cas-ci dans une situation tragique– ou simplement enlever le facteur humain de la conduite… enlever l’humain tout court.
En même temps, la voiture autonome est une progression vers un monde de moins en moins humain, un monde dans lequel la machine peut s’occupe de nous, répondre à nos besoins sans l’intervention d’une autre personne. Ce serait aussi une continuation dans la réduction de notre vie privée et de notre liberté. L’opérateur des véhicules saura où nous sommes, quels sont nos déplacements, où nous faisons nos achats (notamment en cas de livraison à domicile massive). On imagine bien un Google de ce monde se repaitre de ces données et les transformer en tonnes d’argent (peut-être même qu’ils rendraient les services de voitures autonomes gratuits, juste pour amasser les informations… n’est-ce pas ainsi qu’ils fonctionnent depuis toujours?). Incidemment, même ceux qui ne grimperont pas dans les véhicules perdront au change: comment imaginer que ces véhicules, truffés de matériel pour “voir” ne s’adonneront pas à une sorte d’espionnage à grande échelle, avec tous ces yeux électroniques qui seront posés sur nous dès que nous serons au bord d’une rue?
De nombreuses innovations technologiques nous attendent au tournant dans la prochaine decennie, amenant avec elle de nombreux changements écononiques et sociaux majeurs. La voiture autonome est surement parmi les plus visibles, témoin d’un progrès technologique évident mais également voie vers les plus belles dystopies que l’humain à imaginé.
Le prochain article traitera des serveurs sirènes et de leur pouvoir ce concentration de l’argent.
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As drivers felt safer, everyone else had reasons to feel less safe.
Tom Vanderbilt, Traffic: Why We Drive the Way We Do (and What It Says About Us)